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lundi 29 février 2016

Pietra Viva


Auteur : Léonor de Récondo
Editions : Points
Collection : Grands Romans


Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d’Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociants, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l’auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d’Andrea, il ne cesse d’interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre. Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son oeuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir. La naïveté et l’affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo. Parce qu’enfin il s’abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d’une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son œuvre. Il retrouvera désormais ceux qu’il a aimés dans la matière vive du marbre.
Paru le 6 janvier 2015

Mon avis :

Un très beau roman à l'écriture poétique qui narre un épisode de la vie du sculpteur Michelangelo, alors âgé de 30 ans, à Carrare. Le lecteur se trouve plongé au plus près de l'artiste, il est le témoin de ses émotions et de son cheminement intérieur. Passionnant !

Michelangelo est chargé par le pape Jules II d'édifier son futur tombeau et pour ce faire, il se rend à Carrare afin de choisir les blocs de marbre les plus parfaits possibles, matière à son oeuvre.
Il part précipitamment , véritablement hanté par la mort inexpliquée d'Andréa, un jeune moine d'une beauté étourdissante que l'artiste en lui admirait et chérissait secrètement.

A Carrare, il va se mêler aux petites gens, des tailleurs de pierre pour la plupart et il va rencontrer des personnages très marquants : le fou Cavallino d'une étrange lucidité, le petit Michele, écho de sa propre enfance jusqu'à la sonorité du prénom.



Refusant de s'investir dans des relations humaines, il est à la fois égoïste, méprisant, dédaigneux et même insultant envers les autres...
Pourquoi ne pas avoir préféré être seul ? Que partage-t-il avec cette famille ? Que comprennent-ils de son monde intérieur ? Parfois, à la simple approche des autres, il sent son âme se salir.
Le sculpteur reste solitaire à l'orée du monde pour ne faire qu'y jeter un œil de spectateur éclairé. Ses mains le traduisent ensuite, réinventant la pierre.
Le matin, il est le premier dans la carrière à observer les montagnes qui se défont pour qu’il puisse leur insuffler ses formes à lui, leur redonner vie à sa manière. Imaginer, sculpter, créer, afin que sa volonté se fasse sur la pierre.
Mais le petit Michele, désarmant d'innocence et de fraîcheur va lézarder ses murailles et lui permettre de renouer avec une mémoire enfouie au plus profond de son enfance.... D'abord un parfum, puis un rire, puis une sensation, le visage et le souvenir de sa mère va se redessiner petit à petit, réhumanisant l'homme et lui réapprenant l'essentiel... L'histoire de la boite à souvenirs qu'il va finalement partager avec son petit ami est terriblement émouvante...

C'est un véritable voyage intérieur au cœur de la pietra viva, une réflexion sur la mort, sur la vie, sur le souvenir, sur le rôle de l'oeuvre et sur la création.
Tout au long du roman, l’œil de l'artiste s'accroche au monde et nous donne à voir et à comprendre. Des mots souvent simples mais qui se voilent d'une infinie poésie et l'on sent parfois palpiter le marbre entre les lignes.

Je retiendrai des moments de grâce infinie qui vous chavire le cœur comme ce passage où l'homme offre la découverte de la mer à l'enfant:
Michelangelo sculpte dans le sable de petits monstres grotesques, juste pour le plaisir d’entendre le rire de l’enfant. Ce rire qui, un jour, l’a plongé dans le jardin de ses souvenirs.
Michele, avec un petit bout de bois, leur coupe la tête, les décore de coquillages, s’esclaffe à chaque fois que la mer les engloutit et s’exclame :
« Fais-en encore. Donne à manger à la mer ! »
Michelangelo s’exécute sans se lasser.
Soudain, il s’aperçoit que l’enfant ne rit plus. Il le regarde. Michele accroche ses yeux aux siens et, à travers les larmes qui noient ses pupilles, lui offre une gratitude infinie. Muette.
On n’entend plus que l’écume pénétrer le sable.
A la fin de son séjour, l'artiste a vécu un profond chamboulement qui implique son art même. Plus jamais désormais il ne travaillera de la même façon
Finir, polir, tout cela n’a plus d’importance. Ce qui compte, c’est ce lien nouveau entre son esprit et la matière, entre ceux qui grouillent en lui et la pierre. Il ne veut plus les entraver de sa maîtrise, ne plus être l’arbitre, simplement dégrossir le marbre afin que s’en échappe le premier souffle. Son esprit humain doit céder à la volonté minérale. Il ne matera plus la foule qui peuple son imagination.
Un livre magnifique, profond et sensible, une réflexion sur la mort, sur la création et une plume d'une élégance et d'une poésie éblouissantes. Un auteur à découvrir absolument  !

Ma notation : 4,7/5



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